Le contentieux de la tarification sanitaire et sociale est transféré aux juridictions administratives de droit commun
L'article 56 de la loi N° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027(1) prévoit de transférer le contentieux de la tarification sanitaire et sociale aux juridictions administratives de droit commun et de supprimer en conséquence les tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale (TITSS) et la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale (CNTSS). Cette réforme entrera en vigueur le 1er janvier 2025.
Jean-Claude DELNATTE
Un contentieux spécialisé plusieurs fois réformé
Jusqu'à ce que la loi n° 90-086 du 23 janvier 1990 n'instaure un double degré de juridiction en créant cinq commissions interrégionales et une commission nationale, le contentieux de la tarification sanitaire et sociale relevait de la compétence de la section permanente du Conseil supérieur de l'aide sociale, statuant en dernier ressort.
En 2002, les commissions interrégionales ont été rebaptisées « tribunaux interrégionaux » et la commission nationale « Cour nationale », afin de bien marquer qu'il s'agissait de juridictions et non pas d'organes administratifs. Plusieurs autres modifications ont ensuite été apportées aux textes les régissant, portant sur leur champ de compétence, la désignation de leurs membres et l'organisation des greffes.
Dans l'état du droit avant l'entrée en vigueur de la réforme, le contentieux de la tarification sanitaire et sociale est régi par les dispositions du titre V (Articles L. 351-1 à L.351-8 et R.351-1 à R.351-41) du livre III du code de l'action sociale et des familles (CASF) qui prévoient que les recours contre les décisions administratives en matière de tarification sanitaire et sociale des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) sont jugés en première instance par les TITSS et en appel par la CNTSS, le Conseil d'Etat étant juge de cassation.
Ces juridictions sont composées de magistrats professionnels, membres du Conseil d'Etat pour la CNTSS et des cours administratives d'appel et des tribunaux administratifs pour les TITSS, et de membres échevins, proposés par le préfet de région, par les conférences régionales de la santé et de l'autonomie et par le Comité national de l'organisation sanitaire et sociale.
En application de l'article L. 351-1 du CASF, les TITSS ont à connaitre des recours dirigés contre les décisions prises par les préfets, les directeur généraux d'agence régionale de santé (ARS), les présidents de conseils départementaux et régionaux et les ministres, fixant les dotations globales, les dotations annuelles, les forfaits annuels, les dotations de financement des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation, les remboursements forfaitaires, les subventions allouées par les régions aux établissements de santé pour le fonctionnement et l'équipement des écoles et instituts de formation paramédicale, les prix de journée et autres tarifs des établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux de statut public ou privé et d'organismes concourant aux soins.
En outre, les TITSS peuvent être appelés à trancher les désaccords entre les autorités de tarification dans les cas de compétence tarifaire conjointe (Art. L. 314-1 du CASF) et ils peuvent être saisis par les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) des contestations sur la répartition de leurs résidents selon les niveaux de perte d'autonomie ou des besoins en soins requis (Art. L 314-9 du CASF).
Enfin, dans le champ des établissements publics de santé (EPS) et en application des dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 6143-4 du code la santé publique (CSP), les TITSS sont compétents pour statuer sur les recours contre les décisions des directeurs généraux d'ARS relatives aux états des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD) et au mandatement d'office de certaines dépenses de ces établissements.
Des juridictions critiquées dans leur principe et leurs modalités de fonctionnement
L'exposé des motifs et l'étude d'impact du projet de loi, qui se réfèrent aux conclusions d'un rapport rendu en 2020 par la mission d'inspection des juridictions administratives, articulent les raisons pour lesquelles le Gouvernement estime nécessaire de réformer les règles du contentieux de la tarification sanitaire et sociale :
- Le nombre de recours est en baisse depuis plusieurs années, avec seulement 211 nouveaux litiges et 190 affaires jugées en 2022 ;
- La procédure ne permet pas un traitement plus rapide des affaires, les délais de jugement étant dans la moyenne nationale de ceux constatés pour les juridictions administratives, voire légèrement plus longs ;
- Le recours à l'échevinage serait, en particulier, une source de complexification de l'organisation des audiences ;
- Enfin, la procédure est décrite comme obsolète car elle n'est pas dématérialisée et ne peut faire l'objet de télé recours.
La solution retenue, telle que préconisée par la mission d'inspection des juridictions administratives en 2020, est celle d'un transfert de ce contentieux aux juridictions administratives de droit commun, tout en limitant le nombre de tribunaux compétents pour maintenir la spécialisation des magistrats qui auront à le traiter.
Les règles du code de justice administrative pourront s'y appliquer dans leur intégralité, et il sera possible notamment d'utiliser Télérecours, de dématérialiser l'ensemble des procédures, ou encore de déposer des référés urgents. Il est attendu une réduction des délais de jugement et la constitution d'une base de jurisprudence exhaustive susceptible d'assurer une plus grande homogénéité des jugements.
Saisi pour avis, le Conseil d'État, reprenant l'argumentaire gouvernemental, a estimé que le transfert envisagé était justifié.
Au parlement, ce projet de réforme n'a pas suscité de grands débats; la commission des lois du Sénat, tout en entérinant le principe de ce transfert, a souhaité supprimer l'habilitation donnée au Gouvernement à légiférer par ordonnance et inscrire directement dans la loi la mesure proposée ; tout en reportant son entrée en vigueur au 1er janvier 2025. Ces propositions ont été retenues par les deux assemblées, moyennant l'adoption de quelques amendements rédactionnels. Au Sénat, un amendement de suppression de l'article prévoyant cette réforme a été rejeté.
Les dispositions de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027
L'article 56 abroge les articles L. 351-2, L. 351-4, L. 351-5 et L. 351-7 du CASF définissant la composition et les règles de fonctionnement des TITSS et de la CNTSS et modifie les autres articles du CASF, du CSP et du code de la sécurité sociale (CSS) dans lesquels il est fait référence aux TITTS, afin de transférer chacune de leurs compétences aux juridictions administratives de droit commun.
Sont maintenues dans le CASF certaines dispositions spécifiques au contentieux de la tarification sanitaire et sociale :
L'article L. 351-3 est ainsi libellé : « Les recours sont introduits par toute personne physique ou morale intéressée, par les organismes de sécurité sociale, par le directeur général de l'agence régionale de santé et par le représentant de l'Etat dans le département où a son siège l'établissement ou le service dont la tarification est contestée. »
L'article L. 351-6 dispose que : « Les décisions juridictionnelles en matière de tarification sanitaire et sociale sont mises en oeuvre lors de l'exercice au cours duquel elles sont notifiées à l'autorité de tarification par une décision budgétaire modificative. Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée fixe, ou entraîne nécessairement, une modification du tarif pour un exercice déjà clos, l'exécution de la décision fait l'objet de modalités comptables et financières simplifiées fixées par décret en Conseil d'Etat. Tout paiement de sommes supplémentaires tient compte, le cas échéant, des sommes déjà versées au même titre par l'autorité de tarification. »
L'article L. 351-8 prévoit que: « Les modalités d'application du présent chapitre, notamment la désignation des tribunaux administratifs et de la cour administrative d'appel compétents, sont déterminées par décret en Conseil d'État. » Afin de maintenir un ressort interrégional en raison de la technicité de ce contentieux et de son faible nombre, seuls quelques tribunaux administratifs reprendront les compétences des cinq TITSS et une seule cour administrative d'appel se verra transférer les attributions de la CNTSS.
Aux termes du XIV de l'article 60 de la loi: « L'article 56 entre en vigueur le 1er janvier 2025. Les affaires pendantes devant les tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale et devant la cour nationale de la tarification sociale sont, à la même date, transférées aux tribunaux administratifs et à la cour administrative d'appel compétents. »